Quartier des songes

Il faisait froid, la rue était sombre, l'air chaud de mon corps se ressentait sur mes lèvres. Je passais frénétiquement ma langue sur mes piercings, tic que j'avais attrapé au cours des années. La salive qui séchait cycliquement me laissait une sensation désagréable, l'odeur me mettait mal à l'aise. Les mains sur les biceps, je les pressais afin de rapprocher le plus mes bras de mes cotes et ma poitrine se compressait, créant de légers chocs qui m'incitaient à me concentrer sur autre chose que la nuit.
La nuit de Nin. Je marchais à grande cadence. La capitale je la connais. Ces murs, ces allées, ces lumières. Les recoins, les détails, ce qui te permet de t'échapper mais aussi de t'accrocher à ce qui te retient ici. Alors que tout te dit de partir. Ce discours paradoxale incessant qui te maintient, ici. Dans cette précarité sur le fils. Une précarité instable. Une précarité qui te fait sans cesse reparcourir le discours de comment t'en es arrivée là.

Une ancienne grande amie m'appelle. Je décroche pas. Je vois son nom qui reste quelques secondes sur mon téléphone, la lumière traverse ma rétine. Insistante. De la joie. Je sais que c'est ça que je ressens. On a pas le temps, je fais autre chose, j'ai pas le temps là, pour la joie. C'est le rush de la mise en abime.
Désolée. Je le ressens, je culpabilise. Je me dis à quel point j'ai de la chance qu'elle pense à moi en ce moment précis. Mais je peux pas. Je me sens mal pour l'instant présent auquel je ne donne plus toute mon intention et me rappelle que tout le poids du monde ne repose pas sur ma faculté à être attentive. J'entends sa voix, ce qu'on se serait dit si j'avais touché le bouton vert. Tout tourne, rien ne s'arrête. Et la fréquence du moteur des camions qui passe me revient. Je sens les frissonnements de l'hiver et pense au rassemblement à Songe qui a lieu en même temps que mon déménagement. Je fais mes cartons pendant que d'autres se voient fermer leurs magasins par les forces de l'ordre. J'ai tenu 2 ou 3 mois dans ce studio avant de perdre mes allocations. Dossier refusé.

"Je ne parle pas à la place des autres" alors j'essaye de créer des dispositifs sensoriels de comment je les perçois. C'est pourquoi le personnage de Lou est le moins romantisé, le plus brute et lourd. Sa densité et complexité n'est pas poétique, car c'est moi. J'ai voulu avoir un personnage en "Je" afin qu'on perçoive que c'est un récit situé le plus conscientisé. Souvent, j'ai l'impression qu'on s'empêche d'être lourd.e alors qu'on commence à creuser dans ce qui nous remout. Lou sert à ça. Iel questionne les autres. Je est le personnage donc je le dis iel mais iel est moi. L'auteurice de l'histoire que vous lisez. Je vous le dis, c'est moi. Mais c'est vous qui l'interprêtez et je vous invite fortement à vous en emparer. A la changer, à en discuter. Car je la pense, je la traduis mais jamais je ne l'ai construite seul.e. Je suis entouré.e. Je est un on en relation. Lou c'est vous et moi.